HOMO MEDIATICUS
Deux semaines de bombardements médiatiques massifs, avec même quelques séances de « frappes chirurgicales » ... « à vot’e bon cœur messieurs-dames, voici le CCP ». Pensez donc, une catastrophe naturelle à l’échelle mondiale en pleine « trêve des confiseurs »... du pain béni, c’est le cas de le dire vu la période, pour les médias.
La vague du raz de marée n’a d’équivalent que la vague médiatique qui a déferlé sur nos ondes et dans nos journaux et qui n’en fini pas de faire des clapotis dans les recoins de notre (mauvaise) conscience.
Les médias se sont emparés de ce tragique évènement avec une avidité déconcertante, jonglant avec les mauvaises et les bonnes nouvelles, jonglant avec les chiffres des morts, des blessés, des disparus, des rescapés, des vrais-faux sinistrés. Ils ont tenu en haleine un public fasciné par l’énormité de la chose... ce qui ne l’a tout de même pas détourné des huîtres et du foie gras... du moins en France.
UNE MONDIALISATION DU CATASTROPHISME
C’est avec une constance morbide que les médias se sont vautrés, et n’en finissent pas de se vautrer dans la catastrophe. Durant des centaines d’heures, occupants la quasi totalité des bulletins d’informations et autres journaux télévisés, le long défilé des images de mort nous a harcelé jusque sur notre table, jusqu’au pied de nos lits... impossible d’ouvrir la moindre feuille de choux sans tomber nez à nez avec des corps boursouflés et autres témoignages « inédits et exceptionnels ».
Une lutte effrénée s’est engagée entre les agences de presse et les grands médias pour vendre de l’information à tout prix... faisant dans la surenchère du sordide, du spectaculaire et du sanglant.
Il faut dire que pour une fois que « personne n’était responsable » (mis à part les carences dans la prévision), on pouvait y aller sans retenu. En effet a-t-on fait autant de vacarme pour les 800 000 morts (5 fois plus) du génocide Rwandais, ou les victimes (jamais décontées) de l’atroce guerre de Tchétchénie... pour ne citer que ces deux conflits... Il y a manifestement des morts respectables et d’autres qui ne le sont pas. Il faut dire que dans ces deux cas il n’y avait et il n’y a pas de touristes.
Entre les « miraculés », les devins, les chanceux, celles ou ceux qui ont eu des rêves prémonitoires ou qui avaient perdu leurs billets d’avions, nous n’avons eu que le choix pour faire fonctionner au maximum notre imagination et/ou nos fantasmes... Certains ne s’en sont pas privés. De quoi alimenter nos inconscients pendant plusieurs mois, de même que les écrans de télévision et donc les recettes publicitaires... car bien entendu, comme dirait TF1, l’information s’est faite entre deux plages (elles non sinistrées) publicitaires.
A combien se sont négociées auprès des grandes chaînes de télé les petites séquences d’amateurs qui ont eu la chance historique (« j’y étais, moi, Monsieur ! ») d’être là au bon moment avec leur vidéo prête à fonctionner. .. transformant en l’espace de quelques secondes leur ridicule instrument en lingot d’or ?
Que peut-il se passer dans la tête de celles et ceux qui livrent en spectacle leur angoisse dans un hall d’aéroport dialoguant avec un journaliste qui joue plus ou moins le psychologue et guette, l’œil gourmand, la défaillance qui fera d’un simple reportage un « scoop-psy-grave »... « refais moi ça coco ... ça passe un max ! ». Plus la situation du témoin est dramatique, mieux réussie est la séquence : la catastrophe comme si vous y étiez, la mort livrée dans votre salon par porteur spécial... il ne manque plus que l’odeur... mais patiente, on y travaille !
Nous avions l’habitude du spectacle de la misère, nous avons eu droit, quasiment en direct, au spectacle de la mort... on n’arrête pas le progrès.
LA SUBLIMATION DE L’HORREUR
Partir d’un certain degrés, l’horreur devient acceptable, montrable, donc exploitable. Remarquez qu’il n’y a jamais eu une image « floutée » dans les reportages... les morts étaient socialement et politiquement propres... bref « télévisuellement corrects ».
L’horreur est acceptable quand elle n’est pas sociale, ou du moins quand son origine n’est ni politique, ni sociale. La « fatalité » étant la chose du monde dont le partage échappe à l’action humaine, elle dédouane les hommes de ses raisons... il est permis à Dieu d’avoir des absences, quand ce n’est pas une manière pour lui de faire de la pédagogie aux humains. Les voies du Seigneur (saigneur ?) sont impénétrables, tout le monde sait ça !
Mais l’horreur doit rester horrible pour continuer à faire ses effets. Le risque, en matière d’info, c’est que la tension du spectateur se relâche, retombe, soit par lassitude, soit parce que petit à petit, la situation tend à se normaliser ?. Alors il faut relancer dare dare... surtout lorsqu’on n’a pas grand-chose à se « mettre sous la dent » : une banale explosion d’immeuble par le gaz (pas même un attentat, c’est dire !), des salariés virés de leur entreprise (quelle banalité !), pas même une naissance princière ou un match de foot d’ « anthologie » (comme disent les fans !)... que du menu fretin.
Tout l’espoir réside dans les « répliques »... faudrait qu’elles se manifestent parce que ce coup ci toutes les caméras du monde sont prêtes... un bonne réplique bien médiatisée et l’on fait médiatiquement un malheur.... « Pousse toi de là j’y étais le premier... non mais ! »
A défaut de « répliques », il a fallu trouver autre chose. Asie du Sud Est, tourisme, enfants abandonnés... Ca y est on a trouve : trafic d’enfants et pédophilie... Ca c’est un filon... Allons donc pour les trafics d’enfants... et c’est parti pour un tour. Mort, sang,.... Il ne manquait plus que le sexe. Ce coup-ci le tiercé gagnant est au rendez vous... et c’est reparti. A vomir.
Fallait-il informer sur la catastrophe ? Evidemment. Mais ce à quoi nous assistons n’est plus de l’info, c’est du matraquage. Qu’il y ait une information sur les victimes, sur l’évolution de la situation,.... qu’il y ait même une émission spéciale sur le sujet, soit, mais quel sens a cette surenchère sinon d’être une mécanique incontrôlable guidée par le sensationnalisme motivé par la course à l’audimat. Parce ce que ce qu’il y a finalement derrière toute cette dérive c’est l’argent, celui que rapporte la publicité orientée par les statistiques de l’audimat.
Le service public n’a pas eu plus de retenu que le privé
Au fait, c’est quoi et quand la prochaine catastrophe ?
6 janvier 2005 Patrick MIGNARD
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