OU EST PASSEE LA CLASSE OUVRIERE ?
Question saugrenue diront certains. Pourtant, cette classe sociale, véritable mythe à la fin du 19ème siècle et surtout durant le 20ème, n’a pas répondu à la mission qui lui avait été dévolue par les « théoriciens de la révolution » : le renversement du capitalisme. Est-elle aujourd’hui capable d’y répondre,… et d’abord où est-elle ?
Devant la désindustrialisation des pays développés – qui la fait disparaître, en tant que pivot déterminant de la lutte sociale - et l’atonie actuelle des luttes, on est en droit de se demander ce qui reste réellement de cette classe sociale et de sa « mission historique »… il y va de la justesse de notre stratégie en matière de changement social.
CLASSE OUVRIÈRE ET SALARIAT
On confond facilement « classe ouvrière » et salariés. C’est à mon avis une grave erreur qui est à l’origine de malentendus et source de confusion sur la dynamique du changement social.
Que la classe ouvrière, au début du capitalisme, ait été le symbole même de la classe des salariés, c’est incontestable.
S’il est exact que c’est la tendance à la généralisation du salariat dès le 19e siècle, qui a fait la « classe ouvrière », il est par contre faux de croire que l’extension de celui-ci aujourd’hui gonfle les effectifs de celle-ci. En effet, quand on parle de « classe ouvrière », on parle certes de la situation de salarié, du rapport salarial… mais il n’y a pas que cela. Il y a, en effet, aussi, le fait que les conditions économiques et physiques d’exploitation créaient des conditions objectives (concentration dans les ateliers d’usine) et subjectives (la conscience de classe) qui prédisposaient cette classe à une mission historique.
Or, et l’expérience l’a suffisamment montré à la fin du 19ème siècle et durant tout le 20ème… ce qui était prévu, et je dirais même « scientifiquement » prévu… revoyez ce que l’on appelait le « socialisme scientifique »,… ne s’est pas produit.
On peut donc dire, que, sur le plan sociologique, de même que sur le plan politique, la « classe ouvrière », définie comme le « fer de lance » dans l’offensive contre le Capital, a disparu. Croire le contraire c’est s’en tenir à une vision obsolète de ce qu’est la réalité sociale et ne pas tirer les leçons de l’Histoire et des « prédictions » qui ont fondé tout le mouvement révolutionnaire du 20ème siècle.
Cela dit, le rapport salarial n’en demeure pas moins le rapport dominant dans notre société, et constitue une de ses principales contradictions, et non plus la seule, comme on le croyait jusqu’à présent.
« TRAVAILLEUSES, TRAVAILLEURS » !....
Les discours commençant par cette exclamation, sont devenus de véritables pièces de musées un peu vieillottes qui font sourire, même celles et ceux qui légitimement peuvent se dire « travailleuses et travailleurs » et qui, politiquement ne se reconnaissent même pas dans celle qui les tenait… il suffit de voir, comment ceux-ci s’expriment dans les institutions politiques mises en place par le système.
Pourtant cette expression est devenue un véritable leitmotiv qui est censé illustrer une réalité qui ne correspond plus à la réalité politique à laquelle jadis elle renvoyait.
« Classe ouvrière » est en fait devenu une sorte de concept magique, complètement détaché aujourd’hui de la réalité sociologique de l’exploitation salariale. Et même s’il existe d’authentiques ouvriers, ils ne constituent plus cette classe quasiment messianique qui, dans les vieux grimoires de la « pensée révolutionnaire », devait débarrasser le genre humain de toute exploitation.
Il y a un formidable aveuglement à vouloir absolument écrire un scénario – encore que très imprécis - qui ne s’est jamais joué alors qu’il était présenté comme inéluctable,… et dont rien nous dit qu’il est finalement le meilleur.
A la fin du 19e siècle et durant tout le 20e, la « classe ouvrière » des pays développés - ceux-là même qui devaient, à courte échéance voir le triomphe du Socialisme, - a préféré améliorer – c’est un choix qui ne mérite aucun jugement - ses conditions de vie et de travail en revendiquant auprès du Capital ce qui constitue aujourd’hui les « acquis sociaux », que de renverser le capitalisme. Ce n’est pas ce qui, manifestement, si j’ose dire, était prévu.
La mondialisation de la fin du 20e siècle a relativisé l’importance de cette classe ouvrière qui a fondu avec la robotisation des tâches et les délocalisations. Où sont par exemple les « masses ouvrières » en Europe que l’on pouvait voir encore il y a quarante ans ?
Les « théoriciens de la révolution » ont bien évidemment arrangé les évènements à leur manière…triturant et interprétant la réalité pour la faire coller à leurs « textes sacrés ». Ainsi, en désespoir de cause, de voir la « classe ouvrière » des pays développés, faire son œuvre historique, ils se sont tournés vers les pays en voie de décolonisation/développement pour essayer de faire en sorte que la « prédiction » se réalise... On peut aujourd’hui constater le fiasco d’une telle théorie... Même si l’on a mythifié, et outrageusement commercialisé, l’homme symbole de cette stratégie.
Bref !... vouloir faire tourner en arrière la roue de l’Histoire est particulièrement puéril et irresponsable. Or, c’est pourtant en caressant ce secret espoir que s’élaborent toutes les stratégies de changement social… agrémentées, il est vrai, d’un électoralisme outrancier et mortifère… il suffit de voir où nous en sommes et les perspectives que nous offrent les « théoriciens du changement social ».
ET SI...
Et si conformément au schéma couramment admis ce n’était pas la classe ouvrière qui renversait le capitalisme suivant le scénario prévu : exploitation, concentration, paupérisation, conscientisation, organisation, insurrection, révolution ?
Qui a dit que c’était comme cela que ça devait se passer – sachant que ça ne s’est pas passé comme prévu ? Des textes sacrés ? Et s’ils n’étaient pas si sacrés que ça ? Et que leur-s auteur-s se soi-ent trompé-s ?
Blasphème diront certains ! Oui... les « religieux » des dogmes révolutionnaires qui croient en une vérité révélée, éternelle et incontestable ( ?).
Pourtant à regarder l’Histoire, ce ne sont pas les esclaves qui ont abattus l’Empire Romain... pas plus que les paysans le système féodal ! Ce n’est donc pas la classe la plus exploitée qui – automatiquement et logiquement - renverse le système qui la soumet.
Alors, aujourd’hui, qui ? Quelle classe ? Suivant quel processus ?
Bonnes questions ! On a la réponse pour le passé, pas pour le présent.
Mais pourquoi s’interdire de se les poser ces questions et fonctionner sur une hypothèse pour le moins douteuse et source de dérives catastrophiques : réformistes, électoralistes, organisations bureaucratiques,….
Là sont les vrais questions... et pas de savoir « qui va combiner avec qui pour des élections ».
Quelle organisation politique pose ces questions ? Aucune ! Toutes sont empêtrées dans leurs misérables combines pour défendre leurs intérêts bureaucratiques et placer leurs « chefs » dans des postes de pouvoir.
Je ne me fais aucune illusion, les « docteurs de la foi révolutionnaire » réagiront d’un haussement d’épaule, ou par l’insulte, à une telle analyse... brandissant leurs icônes et leurs bréviaires comme autant de gadgets symboles de leur impuissance.
Le constat est amer, c’est vrai, et il est toujours difficile de reconnaître que ce en quoi on a cru durant, parfois toute une vie, est une erreur... Et pourtant !
Le recul de l’Histoire et la nécessaire révision des certitudes du passé alliés aux catastrophes politiques de plus d’un siècle nous oblige à cet effort. Il y va de notre avenir.
Patrick MIGNARD
29 Juin 2009
À l’attention de celle et ceux qui me diront : « Bon OK, et alors ? » je renvoie aux textes :
QU’EST-CE QUE CONSTRUITRE UNE ALTERNATIVE ? (1) (2) (3) (4)
MANIFESTE POUR UNE ALTERNATIVE
Commenter cet article