Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publié par PM sur
Publié dans : #matiere a reflexion

QUI VOLE UN ŒUF, VOLE UN BŒUF ?...

… POUR UNE ECONOMIE POLITIQUE DU « VOL »

Il est des mots tabous pour lesquels toute tentative de réflexion, voire d’explication, devient synonyme de réprobation. « Vol » en fait partie.
Tenter d’expliquer le vol, de lui trouver un sens, serait-il l’approuver et par là même faire œuvre d’immoralité ?

Le vol, comme tout autre acte, est un comportement social qui mérite d’être expliqué et ce d’autant plus que le contexte dans lequel il survient est loin d’être exemple de pureté.

L’INCONTOURNABLE QUESTION DU RAPPORT À L’AUTRE

Voler c’est s’approprier le bien d’autrui, attitude universellement condamnée dans toutes les civilisations et dans tous les temps. Si l’on en reste simplement à ce constat, il n’y a plus rien à dire.

Pourtant la question du vol pose un problème autrement plus important qu’un simple problème moral,… celui du rapport à l’autre. En effet, je ne peux pas me voler moi-même… Le vol ne peut se concevoir qu’avec l’existence de l’autre. Sans l’autre, pas de vol possible. Mais l’existence de l’autre implique-t-elle l’existence du vol ?

D’abord, qui est l’autre ? Je peux dire qu’il n’est pas moi… ce qui paraît évident, mais qui n’est pas aussi définitif dans sa définition. En effet, l’altérité pose la question fondamentale de la reconnaissance de l’autre. Il n’est pas moi, mais il a un « quelque chose », une sorte de « second moi » qui me le rend semblable. Je ne suis pas lui mais je peux me reconnaître en lui. Son existence lui appartient, de même que la mienne m’appartient... Pourtant son existence m’interroge, elle ne m’est pas indifférente puisqu’elle est à côté de la mienne, elle interfère avec la mienne.

Est-ce que ce qui lui appartient, m’appartient aussi ? Se pose alors la question de l’appartenance, de la possession, de la propriété.

Le seul bien dont dispose un individu est ce seulement son existence ?

Evidemment non, l’être humain, comme les animaux dont il fait partie, pour vivre, s’approprie une partie de ce qu’il trouve dans la nature. Mais la Nature ne répartie pas les biens quelle met à disposition entre les êtres vivants… à eux de se les procurer, de se les partager, de ce les répartir. Pour cela un effort est nécessaire et en cas de rareté ou de difficulté (attraper la proie), une compétition et / ou une collaboration s’instaurent.

Les animaux agissent selon l’instinct, ont des modèles comportementaux, de compétition et / ou de collaboration, qui les déterminent dans cette quête de la subsistance, de la possession, modèles que, par espèces, ils reproduisent, inconsciemment, au fil des générations, modèles imposés par la nature et qu’ils ne sont pas en capacité de pouvoir modifier dans leur essence, sinon de s’y adapter.

L’être humain a un comportement tout autre… il n’a pas de « modèle » préétabli, naturel,… il produit du social, autrement dit son comportement est de sa propre initiative. Il entre donc en conscience avec l’autre…. et avec lui-même.

LE RAPPORT, SOCIAL, À L’AUTRE

Mon existence ne peut se concevoir que par rapport à l’autre… même si individuellement et temporellement je peux m’en passer et même le théoriser. L’Histoire humaine est une histoire sociale, c’est un fait consubstantiel à l’être humain. Or, le rapport à l’autre nous venons de le voir, est un rapport conscient, construit par moi et par l’autre. Il y a donc, une dimension sociale, non seulement à ce qu’il est, par rapport à moi, mais aussi par rapport a ce dont il dispose. Sa manière de se le procurer et d’en disposer est une question sociale… en ce sens elle m’implique. De même que, ce dont je dispose, implique l’autre.

On peut même affirmer que la manière dont je me procure des biens indispensables à mon existence est une manière d’être par rapport à l’autre. Ceci est particulièrement évident dans une société fondée sur la division des tâches.

Il y a donc un lien direct entre l’être social, la structure sociale et ce dont il dispose pour vivre.

En filigrane de tout cela, bien entendu, la question de la propriété.

Dénier, à un individu, toute propriété de bien est évidemment absurde et ne peut aboutir qu’à un totalitarisme social dont l’humanité a fait la triste expérience au 20e siècle. Par contre, poser la question de l’appropriation, c’est-à-dire des conditions sociales de l’acquisition, d’un bien est non seulement légitime mais éthiquement et socialement indispensable. Il n’y a pas atteinte à la liberté de l’individu puisque cette liberté ne peut être conçue que dans un cadre social… et c’est justement, l’Histoire de l’Humanité le prouve abondamment, en refusant de poser la question de la liberté dans ce cadre que se produisent la plupart les abus et atteinte à la dignité et aux intérêts des personnes.

VOL, ÉTHIQUE ET PRATIQUES SOCIALES

Une fois dit cela, peut-on justifier socialement la pratique du vol, c’est-à-dire l’appropriation sans consentement d’un bien détenu par une autre personne ? la réponse est non. Mais l’on voit que c’est le terme « socialement » qui pose problème…En effet, si le vol pose un problème d’éthique, celui-ci ne peut pas être détaché des fondements éthiques de la société dans laquelle le vol se produit.

Par exemple : au Moyen Age, les paysans n’avaient pas le droit de tuer du gibier qui appartenait au seigneur – tout contrevenant était condamné pour vol, même s’il mourrait de faim. On comprend tout de suite le caractère scandaleux et injuste d’un jugement qui condamne un acte induit par des conditions sociales particulières. Le « vol » apparaît comme une nécessité et sa condamnation morale n’est que l’expression de l’immoralité des conditions sociales dans lesquelles il se produit. Il en est de même aujourd’hui lors des « opérations de réductions » qui consiste pour les plus précaires à se servir dans les supermarchés et à se redistribuer les marchandises saisies.

Dans le cas des paysans du Moyen Âge il s’agit de la négation du caractère privé du gibier, dans le cas des « réducteurs » il s’agit de la négation du statut marchandise de la production… dans ce dernier cas, il y a négation de la valeur d’échange de la marchandise. Dans les deux cas il s’agit d’actes hautement politiques (au sens noble du terme)… et pas de simples délits comme le Pouvoir, garant du système dominant, voudrait nous le faire croire

Ceci renvoie bien évidemment à la question de l’équité et de la Justice… donc aux fondements éthiques des relations sociales.

Dans le rapport salarial, la disposition de la richesse produite est conditionnée par l’occupation d’un emploi qui donne droit à un salaire et donc au moyens de se procurer des biens et services. Or cette condition est en grande partie dépendante du fonctionnement du capital et du marché de la force de travail... voir le cas des sans emplois, des exclus, des pauvres.

Le « sans emploi » qui vole pour vivre est-il condamnable ? Oui au terme de la loi marchande ! Mais la situation n’est-elle pas, au niveau du principe, la même que celle du paysan du Moyen Age ?

Or, jamais le problème n’est évidemment posé en ces termes, simplement parce que ce serait reconnaître le « mal fondé » éthique de ce la société appelle le délit et qui n’est que l’expression du « mal fondé » éthique de celle-ci.

Mais va–t-on rétorquer, tous les cas de « vols » ne sont pas aussi « purs ». Ce qui renvoie à une autre question :

Est-ce à dire que, si les rapports sociaux étaient éthiquement et réellement démocratiques, équitables et non marchand, le « vol » n’existerait pas ?

La réponse est difficile et hasardeuse à donner. Probablement que le « vol » existerait / existera, mais une chose est sûre le phénomène « vol » sera de nature différente de ce qu’il est aujourd’hui.

Inégalités, exclusions, spéculations, conditionnement publicitaire, développement des appétits de consommation, etc… qui sont les pratiques maîtresses du système marchand font tout pour conditionner à l’appropriation facile, à la surconsommation, au désir de dépassement,… et de possession.

On peut faire l’hypothèse que le vol, dans des conditions sociales ayant pour fondement le respect de l’individu, diminuera significativement – une partie de ses fondements sociaux disparaîtront.

Le « vol résiduel », car il y aura toujours des individus avides de posséder plus que l’autre devra être réglé socialement par l’éducation et la pratique de la vie collective.

Enfin, il est de plus intéressant de constater que ce sont les filous, les escrocs et les exploiteurs (l’exploitation étant une forme de vol), jamais ou rarement condamnés (des noms ?), tous personnages de premier plan dans notre société marchande, qui sont les premiers à demander la condamnation des « voleurs » et à émettre les plus grandes réserves sur le type d’analyse qui fonde ce texte, prouvant par là même qu’ils savent parfaitement où sont leurs intérêts présents et futurs.

Patrick MIGNARD

16 Mars 2009

Voir aussi les articles :
LE TRAVAIL EN QUESTION (1) (2) (3) (4)

 

Pourquoi ce site ?

fedetlib.overblog.com

Rédigé par PM

Pourquoi ce site ?

Articles récents

Archives

Hébergé par Overblog