SUR LES STRUCTURES ALTERNATIVES
Le débat qu’a lancé Jean Ruhlmann par son texte « PROJET DE STRUCTURE ALTERNATIVE » est, je le pense, essentiel et devrait constituer l’essentiel de la réflexion dans le mouvement dit « altermondialiste ». En effet il pose le problème de l’alternative concrète, ou concrètement le problème de l’alternative... c’est-à-dire l’élaboration d’une structure, ou des structures qui concrétisent une nouvelle philosophie de la vie et qui augurent de la mise en place de nouveaux rapports sociaux.
UN PROBLEME NOUVEAU ET DIFFICILE
Il s’agit de repenser l’action politique. Il est en effet évident que si celles et ceux qui ont fait l’Histoire, se sont engagé-e-s dans la voie du changement, n’avaient pas transgressé les règles du système dans lequel ils fonctionnaient, aucun changement ne se serait opéré. Quand je dis transgresser, ce n’est pas simplement au niveau de la légalité, mais aussi et surtout au niveau des conceptions des relations sociales, en vivant, en expérimental de nouvelles formes de vie sociale.
Il y a donc, ou il devrait y avoir, dans tout projet de changement, non seulement une réflexion « théorique » sur ce qu’il y a lieu de mettre en place, mais aussi et surtout un « vécu » nouveau.
Dans tous les cas, il faut se garder de penser en terme idéologique, mais au contraire en terme historique. Je m’explique : méfions nous des modèles « clef en main » , « bien construits », « garantis correctes »... ( voir l’article « MEFIONS-NOUS DES « MODELES DEPOSES » ! »).
La voie de la facilité serait de « penser » un système, de le déclarer juste et de l’appliquer coûte que coûte. Si cela était possible, ce serait effectivement facile. Or l’Histoire nous montre que ça ne fonctionne pas comme cela. L’Histoire est pleine de tentatives d’expériences qui pour certaines ont réussi pour d’autres non... la montée en puissance de la bourgeoisie commerçante entre le 11e siècle et le 18e siècle en est la plus parfaite illustration. Pourtant, malgré les difficultés et les échecs, elle a finalement réussi. Non pas parce qu’elle a seulement convaincu que ses principes étaient les meilleurs, mais aussi parce qu’elle a montré concrètement que l’on pouvait fonctionner autrement. Le modèle achevé de ce que sera le système marchand, n’existe pas et n’a pas été pensé dans sa structure... il s’est constitué au cours de l’Histoire, souvent sans qu’il y ai une conscience collective de son émergence.
Pourquoi je raconte tout ça ? Pour éviter que l’on commette des erreurs. Aujourd’hui nous avons une conscience aigue de faire l’Histoire et cette conscience nous incite à penser dans sa forme achevée le système que nous souhaitons... on y pense tellement que l’on peut avoir deux attitudes :
soit on oublie de le faire, c’est-à-dire concrètement d’avoir une pratique qui expérimente ce à quoi on a pensé, ce que l’on souhaite... et le projet en reste au niveau du « vœux pieu »... « Ah si.... »
soit carrément on passe à l’action en prenant nos désirs pour des réalités... des exemples : la Révolution de 1917, les communautés « post soixanthuitardes »,... bref toutes les « révolutions ».
Mais quels liens avec les « structures alternatives » ?
Justement, les « structures alternatives » sont significatives d’un passage à l’acte différent de ce que l’on entend politiquement (au sens vulgaire) par « changement »... ça c’est très bien. Encore faut-il inclure ce passage à l’acte dans une perspective, à la fois réaliste et historique.
Réaliste : tout n’est pas possible tout de suite... ben oui... ça aussi l’Histoire nous l’apprend. Aussi bien le contexte général dans lequel on agit que la conscience des individus sont des facteurs qui pèsent lourdement sur la volonté de changement et la possibilité de « faire du nouveau ». La « théorie de l’homme nouveau » qui devait naître (spontanément ?) des nouvelles structures mises en place est une foutaise.
Historique : Le changement se prépare et se fait lorsque les esprits y sont prêts et que les pratiques alternatives qui se sont installées peu à peu ont entraîné un pourrissement de l’ancien système.
Autant dire que toute précipitation et toute « administration autoritaire » du changement, ce qui a été souvent le cas au 20e siècle, voue l’ensemble du processus à l’échec.
C’est donc, je pense, en parfaite connaissance des processus historiques, des rythmes d’évolution des mentalités que l’on doit procéder en sachant essentiellement que c’est par la pratique que les individus évoluent et non en inversant les données.
LA PROBLEMATIQUE DE L’ALTERNATIVE
La mise en place de structures alternatives est, je le pense, la bonne méthode pour engager un processus de changement, mais, nous venons de le voir des précautions sont à prendre.
Ce n’est pas globalement, au niveau de l’ensemble de la société, que ces structures vont apparaître... Ce sont des hommes et des femmes, conscients, plus conscients que d’autres, qui vont vouloir vivre autrement, parce qu’ils en ont la conscience, le désir et y trouvent leur intérêt... ceci est fondamental pour ne pas faire de ces structures des lieux de coercition avec toutes les dérives totalitaires sous jacentes.
Ces structures vont devenir exemplaires, vont devenir une référence qui va attirer d’autres personnes. Elles vont être un tissu de relations sociales plus ou moins étendu, avec des histoires et des pratiques différentes,... peut-être des conflits de conception qu’il faudra gérer. Surtout ce seront des lieux d’une pratique qui forgera une nouvelle conception des relations humaines, des structures qui produiront une éthique pour celles et ceux qui y vivent et seront amenés à y vivre. C’est d’ailleurs comme cela, suivant ce processus que, dans l’Histoire, se sont forgées, dans les villes, les conceptions et les relations sociales qui ont été celles de la Révolution Française. En ce sens cette dernière a été le « produit de... » et non le « point de départ de... », quoiqu’elle a été aussi, d’une certaine manière, un point de départ vers... (on pourra revenir sur ce point).
LA PRATIQUE DE L’ALTERNATIVE
Je pense qu’il est fondamental de partir du fait qu’elle n’est pas constituée d’une pratique unique, unifiée, déclarée juste et indiscutable... évitons les modèles pré établis et pré fabriqués qui ont fait tant de mal au siècle dernier.
L’objectif de cette pratique, volontaire et non contrainte est de vivre une relation nouvelle, en marge des circuits officiels, ce qui sera la meilleure manière de montrer non seulement qu’ils sont obsolètes, mais qu’il y a mieux qu’eux.
Il y a donc lieu de mettre en place des expériences qui « tiennent la route » et non des pratiques plus ou moins spontanées et improvisées qui s’effondrent à la moindre difficulté. L’esprit de responsabilité civique, au sens le plus noble du terme, avec ses forces et ses faiblesses, est indispensable.
La fédération, et non la centralisation, des pratiques est indispensable pour s’auto améliorer, échanger et faciliter leur généralisation.
Sur le concept de « circuits courts »
Le terme « circuit court » n’est évidemment pas une marque déposée. Le terme signifie simplement, si je puis dire, qu’il faut rechercher la solution sociogéographique la plus logique et la plus économique en matière de travail, de production et d’échange. Un exemple : consommer les légumes et la viande produits dans l’immédiat environ et non élaborer de complexes, longs, coûteux et polluants circuits économiques comme le fait l’économie de marché. Une telle démarche, pour autant qu’elle est logique et évidente est parfaitement en contradiction et en rupture avec le système d’économie de marché et avec toutes les problématiques économiques d’aménagement du territoire qui ne sont aujourd’hui que des instruments de développement du système marchand.
Ces circuits courts existent déjà, de manière aléatoire, marginale et concernent quelques milliers de personnes. Ces circuits ne sont pas le produit d’un plan centralisé mais l’initiative, sans concertation, d’individus qui en ont marre des saloperies industrielles produites par l’industrie agro alimentaire et l’agriculture intensive... et que le système nous oblige, de fait, de consommer. Il y a là la prise concrète de conscience d’un fait qui s’interprète et se matérialise en une volonté de fonctionnement social nouveau... C’est ce processus qui est fondamental, et à généraliser.
Ces circuits apparaissent souvent, quand ils ne restent pas confidentiels, comme des gadgets ou des pratiques marginales... ils ne le sont que pour ceux qui n’y sont pas. S’y forgent pourtant une autre vision de la réalité économique.
Sur les « alter-villages » ou « éco-villages »
Je renvoie à un de leurs sites www.rama.1901.org
Sur les principes de base qui les fondent il y a peu à dire... je suis en grande partie d’accord.
Mais cela ne suffit pas, en effet c’est dans la mise en œuvre des principes qu’il faut être prudent et vigilant. Il faut être à la fois attentif et rigoureux, mais aussi pas sectaire. Ne pas mettre par exemple en place un « modèle plus ou moins fermé » qui soit, évidemment, le bon (sic), et la seule référence en la matière. Je pense, qu’en matière historique le tâtonnement est non seulement possible mais indispensable. C’est aussi et surtout « en faisant » que l’on apprend et en confrontant intelligemment les expériences. La conviction doit s’ancrer dans les fruits de l’expérience et non dans des théories qui sont souvent fumeuses quoique fort sympathiques.
Par exemple concernant la monnaie - brièvement car il y a beaucoup à dire. Se passer immédiatement de monnaie me paraît particulièrement hasardeux, non pas par principe, mais tout simplement parce que la monnaie peut-être un instrument commode de l’échange. Ce n’est pas la monnaie en soi qui fait problème mais le rapport social qui l’a soutend.
Par exemple concernant l’organisation du travail - La aussi brièvement - Oui à la simplicité, mais non au simplisme. J’entends par « simplisme » une organisation quantitative et qualitative qui « singerait » le « bon vieux temps d’autrefois ». Il nous faut réinventer des structures qui, tout en étant en rupture avec ce qu’a produit l’économie de marché, intègre les données nouvelles de ce qu’a produit le travail et l’intelligence humaine et cela en harmonie avec les impératifs environnementaux. (Question à reprendre).
Par exemple sur l’autonomie et/ou l’autogestion - Encore plus brièvement - Savoir harmonieusement conjuguer l’autonomie relative avec l’ouverture. Eviter un processus forcé d’ « autarcie économique ». Etablir entre les « unités de vie », villes, villages, communautés (peu importe les termes) des relations de collaboration différentes de celles qu’ont imposé les rapports marchands.
Par exemple concernant l’éducation - Repenser l’éducation (au sens le plus large du terme), non plus simplement en terme d’acquisition de techniques, mais à partir du vécu collectif fondé sur l’analyse du présent et des perspectives de l’avenir. (Là aussi question à reprendre)
Tous ces points, et évidemment d’autres, sont à rediscuter et à approfondir.
En conclusion (provisoire), dans tous les cas de figures gardons-nous d’idéaliser une quelconque structure. Sachons nous adapter et comprendre les adaptations à des conditions locales (géographiques, mais aussi politiques et sociales). Gardons-nous de tout jugement de valeur hâtif... ce qui ne veut pas dire évidemment d’accepter n’importe quoi... mais c’est justement là toute la difficulté. La concertation, les échanges, les rencontres, les débats, et la fédération des actions en sont d’autant plus importantes.
C’est la pratique collective, librement acceptée qui doit fonder les valeurs de d’aujourd’hui et de demain.
PS - Sur le site de l’En dehors, Libertad, le webmasteur du site a organisé une rubrique pour débattre de ces questions... Je ne sais pas ce que ça va donner, mais ce serait intéressant de savoir ce qu’il se dit ici à là, voire d’échanger nos points de vue. endehors.org
24 janvier 2005
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