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Publié par PM sur
Publié dans : #matiere a reflexion

LES « AVANTAGES » COLLATERAUX DU TERRORISME

La pratique politique du terrorisme est non seulement éthiquement condamnable mais aussi, en soi, politiquement absurde. Une fois que l’on a dit cela, on a dit l’essentiel, mais on n’a pas tout dit.

Le terrorisme est une pratique politique qui, si elle ne peut historiquement atteindre, seule, ses fins, n’en est pas moins un élément sur l’échiquier politique de la société qu’elle frappe. A son action la société réagit d’une manière qu’il est intéressant d’examiner car elle est un révélateur de ce qu’elle est réellement.

L’ATTITUDE AMBIVALENTE DE L’ETAT

Passons sur la vision naïve de l’Etat qui se fonde sur la croyance en sa neutralité à l’égard des structures économiques et sociales de la collectivité.

L’Etat n’est évidemment pas neutre et est le garant de la structure existante, aujourd’hui le système marchand fondé sur le salariat. Il est donc dans sa fonction de faire en sorte que ce système fonctionne. Le problème c’est que ce système est essentiellement fondé sur l’instrumentalisation de l’individu (voir les articles « LE TRAVAIL EN QUESTION (1) »), ce qui inévitablement crée une situation conflictuelle. C’est cette situation conflictuelle que l’Etat doit gérer afin qu’elle ne soit en aucun cas un obstacle à ce qui constitue le fondement du salariat : la valorisation du capital.

L’Etat est donc tiraillé entre deux attitudes : l’une qui consiste à favoriser la valorisation du capital, l’autre à gérer les contradictions (conflits sociaux) que cette action génère. Ce que l’on appelle la politique de l’Etat c’est cette double action qui évolue au fil des évènements, des rapports de forces, des nuances dans l’idéologie du personnel politique.

La tendance logique de l’Etat est de se donner les moyens politiques, juridiques, administratifs et idéologiques de contrôler la situation afin que le système fonctionne avec le minimum d’accrocs et de conflits et ce d’autant plus que ses marges de manœuvres s’amenuisent et les contradictions s’accroissent.

Paradoxalement la présence du terrorisme peut lui faciliter la tâche.

L’EXTENSION (INESPEREE) DE LA CRIMINALISATION

Tout le monde sait qu’une période de tension est propice au renforcement de la législation, de même qu’après une série de catastrophes, on renforce les mesures de protection... ce qui n’est d’ailleurs pas forcément la meilleure solution, en effet on agit souvent plus sur la conséquence que la cause. En matière de terrorisme on procède exactement de la même manière

Le maître mot est le « consensus », mot magique qui fait rêver tous les dirigeants, mot qui matérialise leurs rêves les plus fous, celui d’une société où tous les conflits sont aplanis, disparus, où la population fait bloc avec ses dirigeants, bref, la société « idéale » où le salarié, et celui qui l’embauche quand il en a besoin, et le licencie quand il n’en a plus besoin, marchent la main dans la main.

Or, le terrorisme, par sa brutalité, l’irrationalité qu’il véhicule, l’aveuglement qui le caractérise, le nihilisme qu’il inspire, fait fusionner dans la même crainte, mais aussi la même détermination, les catégories sociales qui ont des intérêts opposés. C’est cette fameuse « union sacré » que sait si bien exploiter le nationalisme aux époques de tension internationale.

L’Etat n’a même plus à faire de gros efforts pour réaliser ce qui, en temps « normal », lui est quasiment impossible de réaliser : l’union nationale. Toutes et tous font bloc avec lui, lui demandant protection et détermination dans la lutte contre le nouveau fléau.

Le terrorisme jette aujourd’hui les citoyens dans les bras de l’Etat, comme au Moyen Age, la peste faisait se précipiter les fidèles dans les églises.

L’Etat n’en demande pas tant, mais il va sauter sur une occasion aussi exceptionnelle et répondre au besoin de protection au-delà de tous les espoirs mis en lui. « Vous voulez, du contrôle ? Vous allez en avoir ! »

La réponse au terrorisme nous est présentée comme essentiellement technique « plus de... ». Plus de contrôles, plus de fichages, plus de policiers,... Ce « plus de ... » est bien entendu une contrainte supplémentaire (financière et en terme de libertés) pour le citoyen qui non seulement ne peut pas s’y opposer, mais encore fini par l’accepter « faut bien en passer par là », « c’est une contrainte nécessaire », « comment faire autrement ? », entraînant ainsi, de manière générale, une soumission librement acceptée... ce qui encourage l’Etat à en rajouter.

On comprendra que cette situation est tout bénéfice pour l’Etat qui bien entendu en profite pour étendre son contrôle, porter atteinte aux libertés publiques et individuelles, ficher, contrôler... car l’arsenal juridique, policier, administratif, mis en place « contre le terrorisme » est acquis une fois pour toute et pourra servir pour tout autre chose que la « chasse aux terroristes » : par exemple le fichage des militants, des syndicalistes, des opposants aux OGM,... Car qui garanti les limites des dispositifs mis en place ? L’Etat et lui seul.

Ainsi la boucle est bouclée.

LES MEDIAS, INSTRUMENTS DE LA MISE EN CONDITION

Dans ce véritable conditionnement des citoyens, les médias jouent un rôle fondamental, faisant, soit dit en passant, une publicité tout à fait conforme aux objectifs des auteurs de tels actes... mais l’information est une marchandise et en tant que telle doit être servie bien emballée au consommateur.

De même que les feux de forêt, les tsunamis, le Tour de France ou les Jeux Olympiques sont d’extraordinaires points de fixation et d’abrutissement de l’opinion publique, les actes terroristes mobilisent cette même opinion au point de lui faire oublier sa situation. Dit plus brutalement : « Pendant les actes terroristes, les affaires continuent »... je veux dire par là, on continue à faire des profits, à privatiser, à licencier, à délocaliser, à porter atteinte aux acquis sociaux, à criminaliser les conflits sociaux, à exclure, à faire proliférer les OGM, à détruire la planète,... Mais ces actions passent au second plan, « détrônées » par la nouvelle qui « fait la une », répétée jusqu’à plus soif pendant des jours et des semaines, supprimant toute autre information, faisant l’impasse sur les doutes et les craintes des dispositifs mis en place. Comme pour les Jeux olympiques : « la nation est unanime ! »(sic)... A la limite, toute restriction, contestation, voire critique est qualifiée au mieux d’irresponsable, au pire de « complicité avec les terroristes »... Même pas besoin de censure, l’autocensure suffit.

L’information, dramatique en elle-même, est médiatiquement démultipliée au point de faire perdre à la majorité l’esprit critique, bref l’esprit citoyen pour se fondre dans une unanimité qui annihile toute réflexion, tout recul par rapport à l’évènement et qui fait prendre la rumeur pour vérité et le discours officiel pour certitude.

Exagération ? Pourtant, nous ne pouvons que constater les succès médiatiques des dirigeants qui « ont eu » des actes terroristes alors qu’ils étaient au pouvoir, et alors qu’ils ont su gérer intelligemment la situation... le maire de New York et son président en particulier, le premier ministre britannique, ainsi que le président russe qui a parfaitement intégré le « terrorisme » dans sa stratégie de pouvoir et en fait la clef de voûte de sa gouvernance. Rien de tel pour « ressouder » une société qui se délite... un peu comme autrefois où l’on faisait une « bonne guerre » pour réaliser l’unité nationale.

Le terrorisme réussi ce qu’aucun Etat ne peut faire : détruire tout esprit critique avec l’accord volontaire du plus grand nombre et redonner du crédit au plus minable des dirigeants.

TERRORISME « NON OFFICIEL » ET TERRORISME « OFFICIEL »

Dans « terrorisme », il y a « terreur », mais la terreur n’est pas le monopole des groupes non officiels, les Etats, même ceux qui se prétendent démocratiques et républicains, pratiquent aussi ce genre d’action.... avec des modalités différentes, évidemment.

Comment qualifier les pratiques de la grande démocratie américaine qui a exterminé les Indiens d’Amérique ? de l’armée française pendant la Bataille d’Alger ? le coup d’état militaire, et ce qui a suivi, de Pinochet (soutenu par les USA) au Chili en 1973 ? Comment qualifier les pratiques de l’Etat russe en Tchétchénie ? de l’Etat d’Israël en Palestine ?... pour ne citer que ces quelques cas. La seule différence avec le terrorisme « classique » c’est que ces Etats détiennent le pouvoir et l’utilisent comme instrument de la terreur.

Les Etats ont d’ailleurs une sélectivité particulière en ce qui concerne les terroristes : en France les terroristes de l’OAS ont eu globalement un destin différent de ceux d’Action Directe. En Italie les terroristes d’extrême gauche ont été traités différemment que ceux d’extrême droite. Idem en Espagne. Les terroristes juifs d’avant l’Etat d’Israël sont devenus fréquentables une fois au pouvoir, de même pour le FLN algérien, sans parler des « terroristes » de la Résistance condamnés puis reconnus héros.

On ne peut donc pas ne pas se poser la question : y aurait-il des bons et des mauvais terrorismes ? Réfléchissez bien avant de répondre...

On ne peux pas non plus ne pas se poser la question : où commence le terrorisme et où fini-t-il ?

C’est difficile à admettre, et pour cause, mais le terrorisme nous interroge sur nos certitudes. Pas toujours sur nos valeurs, mais toujours sur la manière de les mettre en œuvre.

A moins de croire qu’il existe des « terroriste-nés », ce qui est une absurdité, le terrorisme a des raisons qui plongent dans une situation politique, économique et sociale, autrement dit au cœur même de notre société. Il est le produit de la société dans laquelle nous vivons. Il pose des revendications (justifiées ou pas), avec des méthodes contestables et condamnables, pour lesquelles il n’y a aucun espace social pour les traiter. Il est le produit d’une surdité politique généralisée. Continuer à fonctionner comme nous le faisons, c’est à terme se cloîtrer dans un blockhaus sécurisé... belle perspective d’avenir !

Si le terrorisme ne peut pas apporter une réponse sérieuse au problème qu’il pose, la riposte que l’on apporte aujourd’hui au terrorisme ne peut pas répondre sérieusement aux raisons qui font qu’il existe.

Le traitement administrativo-policier du terrorisme loin de l’éradiquer ne peut que le raviver en ne le considérant pas comme un phénomène social. Mais nous le savons désormais : les politiciens ont une vue à très court terme, leur horizon est borné par les échéances électorales pour lesquelles ils doivent fournir un spectacle... le terrorisme leur offre le théâtre.

13 juillet 2005                                                    Patrick MIGNARD

 

 

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DROGUE, ECONOMIE SOUTERRAINE ET SOCIETE PARALLELE

Il ne s’agit pas de porter un jugement sur cette activité (chacune et chacun sera à même de le faire en connaissance de cause), mais au-delà des lieux communs et anathèmes faciles, de comprendre le « pourquoi » d’une telle situation.

« Economie parallèle », « trafic »... les qualificatifs ne manquent pas pour la nommer, par contre les statistiques manquent pour l’évaluer... et pour cause. Elle est une réalité de plus en plus prégnante et en particulier dans les cités dites « sensibles », et porte en deçà de la drogue, sur des biens de consommation courante. Elle est devenu un véritable moyen de vie pour certains des exclus de nos cités.

La chasse à l’économie souterraine n’est pas aussi systématique qu’on pourrait le supposer. En effet, entre l’entorse à la norme et le maintien de la « paix sociale », l’Etat n’hésite pas. A-t-il d’ailleurs le choix ?

LE LIEN SOCIAL EN DECOMPOSITION

Nous savons que le fondement même du système marchand en matière de constitution du lien social réside dans le fait de disposer, et d’intégrer la force de travail, donnant ainsi les moyens au salarié d’exister économiquement et socialement (voir les articles « LE TRAVAIL EN QUESTION (1) »).

Ce mécanisme social n’est cependant pas automatique... il est en effet soumis à la règle du marché de cette même force de travail. Le statut marchandise de celle-ci fait qu’elle est employée, non pas du fait de son existence, mais en fonction des besoins de la production. Autrement dit, c’est le marché, et le calcul économique de l’entreprise qui détermine l’existence sociale ou non de l’individu.

Tant que le système a eu un besoin massif de force de travail pour faire fonctionner son appareil de production, il arrivait à créer, de manière contradictoire, mais à créer tout de même, et à stabiliser le « lien social » (plein emploi), quoique des périodes de crises pouvaient rompre cette « harmonie » (chômage conjoncturel). Cette situation a été celle des pays industriellement développés jusqu’aux années 70 du 20e siècle, c’est-à-dire jusqu’à la fin de l’époque de leur monopole de domination économique.

La mondialisation marchande a mis fin à cette situation en redistribuant les marchés (voir l’article : « AUX LIMITES DU SYSTEME MARCHAND ») ; le travail, mais aussi le progrès technique qui a permis de remplacer avantageusement une force de travail de plus en plus chère et exigeante (productivité croissante, recherche de la rentabilité et donc tendance au chômage structurel...).

Une telle évolution ne pouvait aboutir qu’à un processus d’exclusion économique et par voie de conséquence, sociale.

Les premières et principales victimes, ont été, et sont encore aujourd’hui, celles et ceux qui ont vu leurs postes, soit transformés par la robotisation, soit leur entreprise carrément disparaître, victime de la concurrence internationale.

Les « cités ouvrières » des années de l’ « âge d’or de la croissance » sont peu à peu devenues des cités de concentration d’exclus. Les travailleurs immigrés et / ou d’origine immigrée, sans avoir été les seuls à être touchés par l’exclusion ont cependant payé un lourd tribu à cette évolution... car, étant essentiellement non qualifiés, donc rapidement et facilement remplaçables par la robotisation. Et les travailleurs sous payés des nouveaux pays industriels.

Les « cités » sont donc logiquement devenues des lieux dans lesquels, le lien social, la reconnaissance sociale, ont été le plus fragilisés.

UNE RECOMPOSITION PROBLEMATIQUEDU LIEN SOCIAL

Toute collectivité humaine a besoin de produire et d’assurer la reproduction du lien social, c’est-à-dire d’une relation normalisée qui assure l’existence et la reconnaissance sociales de tous ses membres.

Le système marchand est désormais incapable d’assurer cette tâche, du moins en ce qui concerne une forte minorité de la population (voir l’article « DECADENCE »).

Ces populations sont socialement (au sens du lien social) abandonnées à leur sort, même si elles bénéficient, dans une certaine mesure, d’une aide sociale. Notons que cette aide sociale n’est pas, et n’est d’ailleurs pas perçue, comme constitutive du lien social (voir l’article « TRAVAIL SOCIAL : MISSION IMPOSSIBLE ? »). L’aide sociale agit sur les conséquences, pas sur la cause de la destruction de ce lien.

L’alternative qui s’impose à des populations est donc clair : soit dépérir économiquement et socialement, soit créer du lien social en organisant une « activité économique » et/ou à la marge du système qui les exclu.

Dans un système aussi développé et normalisé que le notre, trouver sa place, alors que l’on est exclu, n’est pas facile. En l’absence d’un vision et d’une conscience politique claires, c’est donc dans les failles de celui-ci que réside la/les « solutions ».

L’ « économie » qui s’installe est donc, non officielle, hors norme et hors législation, « souterraine » par opposition à celle qui s’exerce au « grand jour » et qui est soit officielle, soit politiquement revendiquée (structures alternatives).

La production n’existant pas, à proprement parler, dans cette logique, celle-ci vient du détournement et donne lieu à ce que l’on appelle des « trafics ». La source de l’échange étant illégal, tout le reste le devient : trafic, recel, détention illégale,. Les participants deviennent des « complices » (et non des associés), l’organisation, une « bande de malfaiteurs », une « maffia » (et non une entreprise).

Si l’on ajoute à cela le fait que l’exclusion a frappé, et frappe, des communautés immigrés (les plus vulnérables dans l’appareil de production), on en arrive logiquement au stéréotype largement exploité par le racisme des « bandes ethniques » foncièrement délinquantes,... même celles et ceux de cette population en situation légale sont suspects et sont « mis dans le même sac ». ... les fantasmes racistes font le reste.

En comprenant bien le mécanisme de l’exclusion on se rend compte que ce n’est pas un communauté qui s’exclue, mais que c’est son statut économique qui l’exclu.

La solution n’est évidemment pas dans la répression. Celle-ci peut, certes, dans une certaine mesure, contenir les dérives, mais en aucun cas apporter une solution au problème posé.

La prévention a elle aussi ses limites. Elle permet de prévoir, de tenter d’éviter les dérives. Elle permet d’organiser des structures dites de prévention, d’insertion. En aucun cas elle ne résoud le problème de fond, en aucun cas elle ne peut remplacer le système dans sa capacité de créer du lien social.

Le problème, et sa solution, est essentiellement économique et social. Ce ne sont pas des individus et/ou des communautés qui font problème, ce qui fait problème c’est la manière dont le système marchand traite, considère l’individu et ce, que ce soit à l’échelle de la ville ou à celle de la planète.

ILLEGALITE ET IDENTITE

Une telle situation peut-être non seulement assumée, par celles et ceux qui en sont victimes, mais aussi revendiquée. Elle devient un moyen de survit, mais aussi de reconnaissance au sein du groupe et une manière d’identification. L’attitude de délinquance n’est plus perçue comme une déviation, mais au contraire comme une attitude de défi, un astucieux moyen de débrouille au regard d’un système qui exclu, qui nie l’individu. Une telle attitude est parfaitement incompréhensible pour celles et ceux qui ne sont pas dans cette situation, le citoyen moyen, « normalement » inséré. Paradoxalement, la répression, qui ne manque pas de s’abattre sur ces catégories sociales déviantes, dévient un référent socioculturel, une manière de souder les membres de la communauté, une manière d’accroître la différenciation, la différence, d’avec le reste de la société perçue comme hostile.

L’appel à la répression devient général et est largement partagé par les victimes réelles et potentielles de cette délinquance. Les minoritaires (militants politiques, associatifs, travailleurs sociaux,...), qui le sont effectivement, qui s’y opposent et la dénoncent passent pour des irresponsables et des rêveurs.

L’incompréhension entre victimes sociales du système et le reste de la population se double d’une incompréhension entre ceux qui appellent à la répression et celles et ceux qui s’y opposent. L’incompréhension est générale ce qui bloque toute tentative de dépassement de la situation. Seul le système « tire les marrons du feu » en stabilisant la situation, jouant l’arbitre neutre (ce qu’il n’est pas) en utilisant la répression et/ou la prévention en fonction des circonstances et des enjeux politiques électoraux.... Jouant en cela sur les peurs et les fantasmes.

INTERVENIR OU LAISSER FAIRE ?

C’est le dilemme devant lequel se trouve l’Etat. En principe il ne peut se laisser se dérouler une activité qui se situe en dehors de la norme... il y va dans le meilleur des cas de sa crédibilité. Tout trafic, toute activité non socialement organisée et autorisée est illicite. L’Etat se doit d’intervenir.

La réponse apportée n’est cependant pas aussi systématique.

L’économie parallèle a en effet le pouvoir de faire vivre une partie de la population qui sans cela serait dans l’indigence et la pauvreté. Elle permet ainsi, sinon de supprimer les tensions, du moins de les atténuer en tolérant ce qui est, aux yeux de la loi, tout à fait inacceptable. L’Etat fait donc une « coupe mal taillée » entre une tolérance apaisante socialement et le respect d’une norme excluante. Aux yeux d’une opinion publique qu’il cherche par tous moyens à séduire, l’Etat ne reconnaît évidemment pas cette politique ambiguë. Lorsque politiquement (élections, évènement exceptionnel), il est indispensable pour l’Etat d’intervenir, il intervient, de préférence très médiatiquement pour montrer qu’il maîtrise la situation et qu’il combat la délinquance.(voir les évènements de juin 2005 dans la cité des 4000 et l’extraordinaire attitude des autorités qui préviennent de leur intervention). Dans les fait, cette intervention n’est que superficielle et ne règle en rien le problème qu’il est incapable de résoudre : celui de l’exclusion. En effet, éradiquer les trafics et de manière générale l’économie souterraine c’est priver toute une partie de la population de moyens de survie et courir le risque d’une déstabilisation sociale... risque que l’Etat ne veut évidemment pas prendre.

L’Etat pourrait-il éradiquer concrètement l’économie souterraine ?

Certainement en grande partie. Il sait (et dans une cité tout le monde sait) qui trafique et où se situent les trafics (qui se font souvent au grand jour). Une telle éradication coûterait de toute manière très cher en moyen à mettre en œuvre... mais l’Etat procède ailleurs à des dépenses bien plus considérables pour un objectif moins sérieux. De plus, une telle opération ne pourrait se faire sans un déploiement policier conséquent ce qui, sur un plan politique, pourrait être dommageable à l’image « démocratique » que veut se donner l’ « Etat moderne »... encore que le déploiement policier est un bon argument électoral. En fin, nous l’avons vu, pour être réellement efficace et conséquente, une telle politique devrait offrir des garanties d’intégration dont l’absence est justement la cause de l’émergence d’une telle économie... garantie que l’Etat est bien incapable de fournir.

La non intervention radicale de l’Etat, qui peut-être aussi considérée comme une sorte de laisser faire, lui est donc dictée fondamentalement par son incapacité à dépasser les contradictions du système marchand dont il est le garant.

URBI ET ORBI

Cette attitude de l’Etat au regard de la société civile est identique à celles des pays développés à l’égard des pays producteurs de stupéfiants, avec en plus il est vrai une dimension diplomatique.

Les pays producteurs de stupéfiants sont en effet parfaitement identifiés, parfois même leurs dirigeants, reconnus diplomatiquement, sont complices de ces productions, voire en sont directement bénéficiaires (voir le cas de NORIEGA à la fois chef de l’Etat du Panama avec la bénédiction des USA, trafiquant notoire et agent de la CIA... arrêté par les Américains ( ?), condamné par un tribunal US ( ?) en 1992 à 40 ans de prison lors d’un procès truqué et au secret depuis dans une prison de Floride).

Souvent poussés à la production de la drogue par le mécanisme des marchés mondiaux du café, du maïs,... les paysans de ces pays n’ont plus que cette ressource pour vivre. Cette situation a permis le développement de réseaux maffieux dont les frontières avec le monde « fréquentable » des affaires et de la politique est particulièrement flou.

Couper ce moyen de subsistance aux paysans de ces pays, c’est courir le risque de provoquer des conflits sociaux et politiques qui ne tarderaient pas à se transformer en lutte armée et guérillas. De cela, aucun pays riche ne veut... et pour cause ; l’expérience, et en particulier pour les USA, des années 60 et 70 en Amérique Latine, leur suffit.

La lutte contre la drogue est donc rythmée, comme au niveau local, par une tolérance plus ou moins bienveillante et une répression à géométrie variable et médiatiquement orchestrée. Le bilan est tel que rien ne change et rien ne saurait changer. L’argent de la drogue transite par les paradis fiscaux connus de tous et alimente le système financier international auquel sont connectées tout ce qu’il y a de plus présentable dans le monde des affaires. Les apparences sont sauves aux yeux de l’opinion publique internationale.

L’économie souterraine n’est finalement pas si souterraine que cela, et pas souterraine pour tout le monde. Ce qui l’est, souterrain, ce sont surtout les raisons politiques qui fait que les autorités, toutes les autorités, agissent avec prudence et circonspection. Officiellement condamnée par le système marchand, elle en est en fait son expression ultime dans ses marges, dans les couches d’une population exclue par le système et qui ne trouve plus dans ce système les moyens de reconnaissance sociale et de vie.

La condamnation morale et civique de cette activité par les autorités officielles, gardiennes du système marchand, est l’expression de la plus parfaite hypocrisie et d’un cynisme achevé, ne serait qu’au regard des dégâts et drames politiques, sociaux et humains de ce qu’il est convenu d’appeler les « affaires officielles » : commerce des armes, pillage des ressources, destruction de l’environnement, scandales alimentaires, OGM,... Dans un cas comme dans l’autre il s’agit de l’expression de ce qu’est le rapport marchand, pour l’un il est officiel, pour l’autre il ne l’est pas.

3 juillet 2005                                                                  Patrick MIGNARD

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