Mais où est donc passée l’extrême gauche ?
Il s’agit ici, au travers de l’attitude, d’une partie du champ de la pensée politique (l’extrême gauche), de comprendre comment le Mouvement social actuel contribue à remettre, de fait, à plat toutes les stratégies de changement social.
L’absence des groupes d’extrême gauche (le NPA, mais aussi LO qui a d’ailleurs pratiquement disparue) dans le conflit actuel, et leur silence assourdissant doit nous interroger sur ce qu’il y a de nouveau dans cette révolte populaire. En effet, jusqu’à présent, tout mouvement social, même si c’était à la marge, voyait s’exprimer en termes tactiques, mais aussi stratégiques ces groupes aux « analyses carrées » et aux « stratégies depuis longtemps théorisées ». Leur silence interroge ! Aujourd’hui, si l’analyse générale des contradictions inhérentes au système dominant sont toujours les mêmes, et justes (voir les entretiens avec Olivier Besancenot) leurs expressions stratégiques en terme de changement sont inexistantes. Pourquoi ?
Pourquoi un mouvement de révolte populaire tel que celui-là ne trouve aucun écho en terme de mobilisation chez ces organisations qui ont pourtant fait de leur théorie du changement un élément essentiel de leur discours ? Parce que, c’est une hypothèse, la sociologie de celles et ceux qui se mobilisent, de même que leur rapport aux institutions existantes (partis politiques et syndicats) ne correspond pas/plus au schéma habituel. Si le mécontentement général était présent au cœur des analyses politiques de l’extrême gauche, elle ne s’attendait pas qualitativement et quantitativement à un tel mouvement.
Qualitativement, par sa composition sociale (ouvriers, employés, chômeurs, retraités, jeunes, vieux, hommes, femmes…), bref, une hétérogénéité qui tranche avec les conflits classiques, d’origine sectorielle, échappant à la traditionnelle analyse fondée sur l’ « origine de classe » et un secteur particulier en lutte, privilégiant le salariat industriel concentré en grandes unités (les bastions ouvriers). Quantitativement par la généralisation rapide et massive au travers du territoire. Un autre facteur a « déboussolé » l’extrême gauche, c’est la « revendication d’apolitisme » des révoltés, leur refus d’organisation, de leaders… Le drapeau rouge ne s’est, sur les ronds point, jamais substitué au drapeau tricolore, de même que l’Internationale n’a jamais remplacé la Marseillaise. Tout cela a de quoi désorienter un militant révolutionnaire de la « vieille école ». Bref, on pourrait dire une révolte « hors norme » au regard des modèles classiques de mobilisation sociale.
L’extrême gauche est restée sur le modèle classique issu du 19ème siècle, et qui finalement n’a jamais marché, celui de « La classe ouvrière qui se paupérise, se révolte, renverse le système capitaliste en s’emparant de l’outil de production et instaure une société sans classes ». L’achat, par les possédants, de la « paix sociale » durant la période faste, suivi de l’ « atomisation » de la classe ouvrière par la robotisation et la mondialisation a fait perdre à celle-ci le rôle déterminant qui devait être le sien dans le changement social. Il n’y a pratiquement plus, en France de « bastions ouvriers » au sens où le modèle classique le définissait. Le processus de paupérisation massive d’une partie de plus en plus importante de la population s’est poursuivi… l’explosion sociale inévitable s’est produite suivant un scénario imprévu, atypique.
Que les partis électoralistes, de l’extrême droite à la gauche aillent à la « pêche à la ligne » à l’électeur, dans le mouvement de contestation, n’a rien de surprenant, c’est d’un classique affligeant. Mais que l’extrême gauche reste muette, interroge. L’interrogation, et là est le point essentiel, porte sur l’obsolescence de fait d’un modèle stratégique que le mouvement révolutionnaire traîne depuis le 19ème siècle, et qui n’a jamais fait ses preuves. Le problème, c’est que l’extrême gauche n’a plus de stratégie à proposer… et en proposer une, est encore un tabou, voire vécu comme une trahison au regard de l’Histoire.
Le drame politique et social actuel, et qui dépasse évidemment largement l’extrême gauche qui n’est qu’un révélateur, c’est qu’il n’y a pas une pensée collective stratégique offrant une issue positive à la crise, à la mobilisation. L’énergie est présente, mais ne sait pas vers quoi s’orienter. La phobie des organisations politiques et syndicales – au demeurant compréhensible – qui fige l’action des acteurs du mouvement, stérilise aussi leurs perspectives stratégiques. Ils errent dans des actions spontanées, sans but précis, sans méthode de lutte contre leurs adversaires (le Pouvoir et ses alliés) et sans projet d’avenir pour changer la société.
Refusant de se constituer en « intellectuel collectif » pour penser leur action, ils mènent le mouvement à sa désagrégation et à sa perte. Tiraillés par les forces hostiles (les partis qui les infiltrent), les ambitions personnelles (listes pour les élections), la stagnation de l’action, la fatigue et la répression… le mouvement ne peut que s’éteindre. On dira alors, avec un brin d’amertume… TOUT ÇA POUR ÇA ?
Toulouse - janvier 2019
Patrick MIGNARD