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Publié par PM sur
Publié dans : #matiere a reflexion

DURA LEX, SED LEX (1)

 « La loi est dure, mais c’est la loi »

Le rapport à la loi, et à la légalité en général est au coeur de la problématique du changement social. Le respect de la loi est-il incompatible avec le changement social ? Si oui, le changement social est-il alors plus légitime que la loi au point de pouvoir, devoir, la transgresser ? Ces questions fondamentales, essentielles sont aujourd’hui totalement ignorées par les forces politiques qui n’envisagent, que de manière purement symbolique, et propagandiste, le « changement ».

Le respect de la loi est à la base de tout ordre social. Autrement dit respecter la loi c’est se soumettre à un ordre social et donc corollairement, si l’on respecte strictement la loi, il n’y a aucune chance de changer l’ordre social ? Ceci pose, bien entendu, le problème de la légalité en matière de changement et donc de l’action illégale.

QU’EST-CE QUE LA LOI ?

La loi est une règle de vie qui organise un groupe social. Elle se fonde sur une éthique, sur des principes, sur des valeurs qu’elle exprime sous la forme d’un code qui engage les membres de la collectivité. Mais elle est plus que ça. Elle est un produit de l’évolution sociale, elle est l’expression de la manière dont les sociétés se sont organisées, à un moment donné de leur évolution, et codifie, à ce moment, le principe de l’organisation adoptée et au départ, dans l’Histoire, le mode de possession de la terre, principale ressource des richesses. Par extension le domaine de la loi concerne tous les actes de la vie économique et sociale... et par là même « stabilise » un état de fait économique et social, qui devient un « état de droit » déclaré implicitement et souvent explicitement immuable. Certes quelques lois peuvent changer, des lois mineures, mais l’essentiel, lui, est déclaré intouchable.

Quel est cet essentiel ? Tout ce qui concerne l’organisation économique et sociale et d’abord tout ce qui concerne la manière de produire et de distribuer les richesses. Aujourd’hui (comme hier d’ailleurs), la manière de posséder, de profiter, de répartir... bref de faire en sorte que se reproduise ce qui, économiquement et socialement, existe sans qu’on le remette en question... Aujourd’hui ça veut dire concrètement : la possession de l’outil de production, la liberté d’embaucher et de licencier, la liberté de posséder le superflu même si aux autres il manque l’essentiel, la liberté d’épuiser les ressources naturelles, de détruire l’environnement...

Certains diront, « mais la loi n’est pas que ça »... c’est vrai mais c’est essentiellement ça... le reste, les lois mineures, ne sont que des aménagements sans importance au regard de ce qui se joue socialement. Exemple ? La loi qui interdit de faire du bruit après 22 heures... celle là on peut effectivement la modifier... ça ne changera rien à la société (« on peut repeindre les volets, ça ne change pas l’architecture de la maison ! »)

La grande astuce du système, de tous les systèmes, c’est qu’ils mélangent tout, à dessein. La loi serait « LA LOI », seule et unique... et au nom du refus du chaos, il faut respecter « LA LOI »... c’est-à-dire « toutes les lois », sans distinction, justifiant par la même l’impératif de respect de l’ordre existant, de l’essentiel de ce qui constitue cet ordre.

La loi est-elle indispensable ? S’il s’agit de la règle collective, la norme qui organise les rapports inter individuels dans une collectivité, on peut difficilement nier son utilité. Mais en fait, nous l’avons vu, la loi n’est pas que ça, n’est pas qu’une modalité d’organisation, elle est l’expression d’un rapport social, d’une organisation sociale produit de l’évolution historique. C’est cette dernière caractéristique, qui donne tout son sens à la loi, qui est systématiquement minorée... Et pour quoi est-elle ainsi minorée ?... parce qu’elle montre que la loi n’est pas aussi neutre que l’on voudrait nous le faire croire au regard du système d’organisation sociale.

DE LA VALEUR A LA LOI

Ce qui légitime symboliquement le plus la loi c’est la valeur morale sur laquelle elle se fonde, plus que la légitimité de l’autorité qui la promulgue. La légitimité est une référence tout à fait relative. Ainsi, à travers l’Histoire les lois se sont fondées sur des principes déclarés, justes, naturels, divins, moraux, ... Il ne s’agit d’ailleurs pas que la loi soit conforme aux préceptes de la valeur, la référence suffit. Exemple ? L’Inquisition, et elle n’est pas la seule, qui commettait des crimes (légitimes) au nom d’un principe (l’amour de son prochain).

Le principe de la référence à la valeur suffit... le reste n’est qu’une question d’adaptation et d’interprétation... autrement dit, on peut faire n’importe quoi, la référence à la valeur donne une sorte d’absolution morale.

La Révolution Française n’a pas trop innové en matière de relation entre loi et valeur. Au niveau des conséquences concrètes on retrouve les mêmes paradoxes et les mêmes contradictions. Ainsi « Liberté-Egalité-Fraternité »... n’a empêché ni le colonialisme, ni les guerres, ni l’exploitation salarié, ni la misère, ni... Autrement dit, les valeurs morales, l’éthique, qui président à la constitution de la règle de droit, ne sont pas tout à fait nouvelles. La véritable nouveauté (encore que pour les femmes il faudra patienter jusqu’au milieu du 20e siècle) réside dans la notion de citoyenneté... qui n’a pas le même contenu que la citoyenneté romaine.

Le corpus juridique issu des « Lumières » et des transformations politiques et sociales du 18e siècle a jeté les bases d’un système qui fait des valeurs de base une interprétation très particulière qui correspond... comme par hasard, aux intérêts de la classe marchande qui prend le pouvoir. Ainsi, la « Liberté » sera surtout la liberté de commerce, d’entreprendre, de disposer d’une force de travail ou de la licencier.... L’« Egalité » sera, en principe, devant la loi et au moment du vote des représentants, mais certainement pas en fonction des besoins de chacun... quant à la « Fraternité »... sans commentaire.

On peut aujourd’hui évaluer le décalage entre la loi, le contenu de la loi, l’application de la loi et les valeurs qui sont censées la fonder.

Reste la légitimité de la loi qui, au 18e siècle, devient réellement populaire.

DE LA LEGITIMITE DE LA LOI

La légitimité populaire de la loi, du fait de la légitimité populaire de ceux qui la promulguent, n’est manifestement pas suffisante pour en faire, de la loi, une valeur définitive et absolue et surtout exempte de contradictions et de contestation... l’exemple nous en est fourni tous les jours. Pourquoi ? Pour deux raisons :

- ce n’est pas parce que le législateur a une légitimité populaire que le rapport qu’elle exprime est exempt de contradictions. Exemple ? le salariat, représenté par un système de démocratie représentative (ce qui est le cas de la plupart des pays développés), n’en demeure pas moins un rapport social inégalitaire, instrumentalisant les individus, les excluant et générant perpétuellement des conflits (voir l’article VIOLENCE ET CHANGEMENT SOCIAL).
- un rapport social évolue et ses contradictions initiales deviennent de plus en plus insupportables. Exemple ? Toujours le salariat qui, quoique contesté n’a jamais été remis fondamentalement en question dans les pays développés et ce pour une raison simple : il créait du lien social et améliorait la condition des salariés... aujourd’hui, ce n’est plus le cas il s’avère incapable d’assurer cette mission de cohérence sociale (voir l’article DECADENCE)

Ainsi, légitimité de la loi et expression de la loi, en tant qu’expression du rapport social, entrent en conflit... par exemple au moment d’un licenciement. On dit alors que la loi est « injuste »... peut-être... mais elle est « légitime »... et toute révolte contre la loi est considérée comme une remise en question de sa légitimité, ce qui, dit autrement, est une atteinte à la volonté populaire.... Ça peut paraître bizarre mais c’est ainsi !

Le problème c’est que, formellement, ce raisonnement est juste. L’autre problème c’est que, ce n’est pas parce qu’il est juste qu’il explique comment doit se résoudre la contradiction. Côté pouvoir, c’est-à-dire garant de l’application de la loi, c’est la rigueur de la sanction au regard du contrevenant. Côté contestation c’est l’établissement d’un rapport de force pour faire accepter par le pouvoir la transgression de la loi, soit l’obliger à la changer.

Sur des questions non essentielles, c’est à dire ne remettant pas en question les fondements du système, un rapport de force peut faire céder le pouvoir quant à l’application de la loi. Par contre sur des questions essentielles, comme l’expression juridique des fondements du système (aujourd’hui : propriété privé des moyens de production, salariat,...) il est évident que le pouvoir ne peut pas céder et utilisera tous les moyens (légaux et illégaux) pour résister à la contestation. D’ailleurs, l’Etat (même dans une forme dite démocratique) n’hésite pas à violer sa propre légalité lorsque les intérêts, matériels, ou idéologiques du système, dont il est le garant, sont en jeux... il a pour cela différents prétextes : raison d’Etat, secret défense, secret des archives... ou aucune explication (enterrement de l’affaire).

La loi n’est donc ni une norme arbitraire, ni un absolu au service d’une cause moralement juste... elle est une production sociale et correspond à des intérêts économiques et politiques. A ce titre elle doit être considérée comme un moment de l’histoire de la société ce qui relativise sa signification et sa portée. Elle est à la fois dérisoire, au regard de l’Histoire, mais aussi déterminante pour le système qu’elle codifie et dont elle assure la stabilité. La loi a tendance à figer le rapport social alors que celui-ci est essentiellement dynamique... au point de constituer l’Histoire. Changer c’est relativiser la loi. C’est cette opposition entre le conservatisme juridique et la dynamique sociale que nous examinerons dans le prochain article.

8 mai 2004 

 

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